Après une exténuante visite de Bangalore, nous repartons prendre le vert. Ou plutôt le rose-orangé, couleur des pierres qui recouvrent la région d’Hampi, toujours dans l’État du Karnataka.
Bus de nuit à l’indienne
Les trains indiens sont souvent déjà pleins quelques semaines à l’avance et c’est le cas pour notre trajet depuis Bangalore. Heureusement, il est toujours possible de se rabattre sur les compagnies de bus privées, nombreuses à proposer des trajets nocturnes. Vous dormez mal en bus sur les sièges trop raides ? Eh bien les Indiens ont inventé le bus de nuit ultime, avec des couchettes horizontales.
Quelle idée de génie !
En fait… pas tant que ça.
Cela fonctionnerait parfaitement sur les lisses autoroutes d’Europe, mais en Inde, c’est l’enfer. Chaque dos d’âne nous fait décoller le corps entier de dix centimètres, les nids-de-poule nous écrasent, les virages nous balancent sur les côtés… Et quand tout se passe bien, le chauffeur klaxonne de toutes ses forces pour doubler, pour dégager un piéton, pour prévenir de son arrivée à un carrefour ou juste par habitude, parce qu’il n’a pas klaxonné depuis longtemps.
Hampi : une vraie claque !
Les paysages nous remettent rapidement les yeux en face des trous. Tout autour d’Hampi, d’immenses boules rocheuses s’amoncèlent sens dessus dessous, enveloppées d’une légère brume et parsemées de quelques cocotiers.
Nous sommes au cœur d’un territoire de légendes. Selon les vieux livres sacrés de l’hindouisme, le Dieu singe Hanuman régnait ici sur un royaume dont les sujets étaient eux-mêmes des macaques, à une époque lointaine où les humains n’étaient guère plus évolués. Quelques siècles ou millénaires plus tard, Shiva, le fameux dieu à la peau bleue, entra ici dans une méditation si profonde que seuls les charmes de la déesse Parvati parvinrent à l’en extraire.
Ce n’est pas tout, Hampi fut en l’an de grâce 1336 choisie comme capitale par une lignée de princes. Avec ses cinq cent mille habitants, elle représenta bientôt la deuxième plus grande ville au monde après Pékin. L’une des plus belles aussi. Et puis patatras ! Une défaite militaire en 1565, un pillage géant, l’abandon, l’oubli.
Non contents d’être déjà magnifiques, les paysages sont donc jonchés de ruines spectaculaires, telles les deux allées bordées de piliers qui se croisent à angle droit à deux pas du village.
Quant au village d’Hampi lui-même, il est étonnamment simple, à taille humaine. Quelques rues de terre et tout le nécessaire pour accueillir chaque jour une flopée de nouveaux visiteurs dans ses ruelles étroites : maisons d’hôtes, restaurants, boutiques, chauffeurs de rickshaws… sans oublier les vaches errantes, évidemment.
Nous ne nous lassons pas de contempler les superbes rosaces à la poudre de riz appelées kolam sur le pas des portes. Elles sont redessinées chaque matin, puis s’effacent sous les semelles et les sabots des passants et passantes.
Le temple Virupaksha
Juxtaposé au village se trouve le grand temple Virupaksha, deux fois plus ancien que la capitale éteinte. Fin décembre, nous sommes en pleine saison des pèlerinages hindous et nous voyons débarquer des cars entiers de croyants. Nous en retrouvons un bon nombre installés dans certains coins du temple, dormant à la belle étoile la nuit, priant et jouant en famille le jour.
Prévenus qu’une cérémonie allait s’y dérouler le soir-même, nous retrouvons tout ce beau monde dans les allées du temple, au son des tambours et des flûtes. Et quoi de plus naturel en Inde que d’y ajouter… un éléphant ?! Nous suivons le pachyderme et son cortège jusqu’au bassin sacré. Une statue est déposée sur un radeau rectangulaire, décoré de quatre bananiers et enguirlandé de lumières multicolores dans le plus kitch des styles. C’est parti pour un petit tour de bassin, avec quatre rameurs, cinq prêtres, toujours autant de musique. Les gosses du village se jettent à l’eau et nagent autour de l’embarcation sacrée. Bref, un joyeux bazar sous l’œil amusé de la pleine lune et des singes nichés sur les toits.
Le surlendemain, soit exactement le soir du 24 décembre, une cérémonie encore plus importante appelée Shankaramana a lieu directement dans la rivière.
À la découverte des vestiges éparpillés d’Hampi
Nous nous lançons dans la visite de l’ancienne capitale en concevant un petit circuit sur une demi-journée.
Nous commençons par l’un des bâtiments les mieux conservés : les étables à éléphants du roi. Les étables, vous voyez le principe. Les éléphants aussi. Ajoutez une architecture typiquement indienne et voilà, vous avez des étables à éléphants.
Autour de l’étable se trouvent d’autres bâtiments plus ou moins bien conservés. Notre préféré est le Lotus Mahal, aussi appelé palais de la Reine, tout de rose vêtu et agrémenté de belles arches travaillées. Puis nous rendons visite au Bain de la Reine, véritable piscine privée entourée d’une douve pour éviter que le petit peuple ne vienne se rincer l’œil.
Tout cela est bien intéressant, mais maintenant il faut que nous vous montrions dans quelles conditions se déroulent nos visites !
Qui dit monument, en Inde, dit sorties scolaires, c’est systématique. Et qui dit groupe d’enfants indiens dit surexcitation, ça aussi, c’est systématique. Dès qu’ils nous aperçoivent, c’est-à-dire parfois de très loin. Alors imaginez lorsqu’ils sont juste à côté, c’est la folie ! Ils nous encerclent, nous posent mille questions, nous serrent la main chacun leur tour, nous demandent de les prendre en photo…
Puis viennent les adultes, qui ne sont en réalité guère plus sérieux. Comme ce professeur qui rappelle au silence et à l’ordre toute sa classe pour au final… s’approcher seul et obtenir son selfie avec nous !
Nous poursuivons avec le temple Vittala, le plus extravagant de tous. Ici encore, de longues avenues à colonnades nous clouent le bec. À l’époque où Paris n’était qu’un enchevêtrement de ruelles insalubres, Hampi possédait déjà l’équivalent des Champs-Élysées, probablement embouteillés par des files d’éléphants.
Le temple entier est superbement sculpté, mais sa pièce maîtresse est le fameux chariot de pierre qui figure sur le billet indien de cinquante roupies.
Plutôt que de repartir par la route, nous coupons à pied le long de la rivière, à travers d’innombrables ruines sans nom. Il faudrait une vie entière d’archéologue pour tout répertorier. Nous croisons en chemin ce petit bonhomme qui pensait passer inaperçu :
Le bord de la rivière possède une ambiance très apaisante : des rochers en pagaille, des ruines éparpillées, une douce lumière de fin d’après-midi…
Nous remarquons d’étranges mini barques rondes qui transportent des passagers, des coracles. Le pagayeur ayant tendance à toujours ramer du même côté, la nacelle tournoie… mais avance contre toute attente dans la bonne direction.
Coucher de soleil sur Hampi depuis la colline Matanga
En fin de journée, nous grimpons sur la colline Matanga, réputée auprès des amateurs de couchers de soleil. Le sentier n’est pas très sécurisé et pourrait effrayer les visiteurs sensibles au vertige. Pire encore, des descendants du Dieu singe surveillent le passage.
Trop choupinets, n’est-ce pas ? Pas lorsque l’un d’eux décide de sauter à pieds joints sur le dos de Mi-fugue ! Grmbrlbgrmbl ! Notre conseil est d’avancer en agitant un bâton ou un caillou, ils en comprennent parfaitement la signification.
Au sommet, un vieux temple profite d’une vue à 360° sur les incroyables collines, les ruines, la rivière, le village d’Hampi et des plantations de bananiers jusqu’à l’horizon.
L’agitation des ghats d’Hampi
Le lendemain matin, nous nous levons aux aurores dans l’idée de nous promener tranquillement au bord de la rivière du côté des ghats. Ce sont les marches typiquement indiennes qui bordent les cours d’eau. Surprise, nous ne sommes pas seuls !
Les pèlerins du temple sont déjà à l’eau pour leur toilette matinale. Ils se savonnent avec une énergie folle jusqu’au fond des oreilles, se brossent les dents, esquissent quelques gestes de prière, puis se sèchent, se coiffent et se maquillent.
Les rivières étant sacrées dans la religion hindoue, nous ressentons une atmosphère très spirituelle. Elle est aussi particulièrement bon enfant. Tout le monde s’amuse, s’éclabousse, éclate de rire. Un vrai shoot d’Inde bruyante et joyeuse dès le réveil !
Bien évidemment, tous nous abordent. Certains nous proposent même de les rejoindre à l’eau, mais… désolés, nous avons oublié nos pagnes de bain.
Les enfants qui nous approchent nous appellent Auntie et Uncle (Tata et Tonton). L’un d’entre eux nous ramène un frère pour nous le présenter, revient avec un autre, puis une sœur, puis encore un frère, puis une sœur. Quelle famille !
De l’autre côté de la rivière
L’après-midi, nous explorons l’autre côté d’Hampi. C’est son nom presque officiel « The other side ». Les pèlerins ont quitté les ghats depuis longtemps, il ne reste que quelques gamins qui jouent dans l’eau.
Nous nous entassons sur une petite barque pour la traversée et débarquons… dans un village de hippies, ou presque ! De la musique planante, des leçons de yoga et de tantrisme, des restaurants qui sentent la weed, un cinéma en plein air qui diffuse The Big Lebowski… Nous n’avons pas seulement traversé une rivière, nous avons glissé dans un monde parallèle.
Nous ne nous attardons pas dans le village et dénichons un scooter pour explorer les environs. Les rochers, toujours aussi incroyables de ce côté de la rivière, laissent parfois place à des rizières entrecoupées de cocotiers.
Plus loin, des adolescents indiens, soit insouciants soit courageux, se baignent dans la rivière près d’une grande inscription :
Nous traversons de nombreux petits hameaux, observons le semis ou le repiquage du riz, recevons de grands coucous de la part des enfants et de leurs parents. De temps à autre, nous devons nous rabattre sur le bas-côté pour laisser passer un troupeau de buffles aux inquiétantes cornes.
Notre boucle nous mène au pied de la plus haute colline du coin, Anjeyanadri , lieu de naissance du Dieu singe. Elle se distingue par des escaliers de 575 marches recouvertes de pèlerins. Nous n’avons malheureusement pas le temps de nous lancer dans l’ascension.
Nous nous rattrapons en visitant un autre temple sur une plus petite colline. Nous espérons une vue au sommet, raté. À la place, nous avons droit à cet arbre, croulant sous un millier de noix de coco emmitouflées dans des tissus.
L’hindouisme nous étonnera toujours !
Notre avis sur Hampi
Que vous soyez amateurs de beaux paysages, passionnés d’Histoire, fans de culture indienne ou simplement de passage dans la région, n’hésitez pas, foncez. Même si Hampi est très populaire auprès des voyageurs étrangers, cela se ressent à peine tellement le site est immense et les visiteurs indiens nombreux. Sans hésiter, nous classons Hampi très haut parmi nos lieux préférés en Inde du Sud !
Conseils pratiques pour visiter Hampi
Transports de Bangalore à Hampi
Si vous le pouvez, réservez tôt vos billets de train, vous dormirez beaucoup mieux. Attention en particulier aux vacances de fin d’année, les Indiens en profitent pour visiter leurs lieux sacrés. Nous nous sommes rabattus sur l’un des nombreux bus de nuit de Bangalore à Hospet, réservé sur le site RedBus. Prix 1550 roupies, durée 7h30.
Arrivés à Hospet, des rickshaws vous sauteront dessus en expliquant qu’il n’y a pas de bus vers Hampi avant 8h ou 9h du matin, c’est faux. Marchez 50 mètres, vous atteindrez la gare routière d’où les bus locaux partent toutes les trente minutes à partir d’au moins 6h du matin. Prix 15 roupies, durée 20 minutes.
Dormir à Hampi
Nous avons trouvé les prix élevés pour l’Inde et pour la qualité, déjà parce que les touristes sont nombreux pour peu d’établissements, mais aussi parce que nous y étions à Noël et que les hôteliers avaient augmenté leurs tarifs. Par ailleurs, choisissez avec soin l’emplacement de votre logement pour qu’il vous corresponde :
- La plupart des maisons d’hôtes et des restaurants se situent dans le village d’Hampi (Hampi Bazaar), entre le temple Virupaksha et les ghats. C’est ici que nous vous recommandons de loger. Nous étions contents de notre choix : la Rocky Guesthouse (~34€ la chambre avec clim et petit déjeuner)i, basique mais propre. Elle est gérée par un duo père-fils sympathique à qui l’on peut tout demander : conseils sur les visites, infos sur les cérémonies ou tisanes contre le mal de gorge en soirée.
- Une autre option consiste à s’éloigner des ruines. Les hébergements semblent globalement plus confortables. En revanche, vous dépendrez des rickshaws pour vos déplacements. Notre expérience n’a malheureusement pas été très concluante. Nous avons voulu nous faire un cadeau le soir de Noël en augmentant notre budget pour dormir chez Lotus Riya : un attrape-touristes à fuir (idem visiblement pour son voisin le Shankar Homestay).
- Enfin, pour une ambiance plus baba cool, vous pouvez loger de l’autre côté de la rivière.
Au fait, si c’est important pour vous, sachez que les connexions Internet sont partout effroyablement lentes dans le coin. T’Hampi !
Restaurants à Hampi
Contre toute attente pour un village aussi désorganisé, l’offre culinaire est bonne. Nous nous sommes Hampiffrés de curries plus originaux qu’ailleurs dans une ambiance souvent décontractée : repas pris au ras du sol sur des coussins sales en écoutant Bob Marley. Les restaurants se ressemblent un peu tous mais voici toutefois nos deux préférés :
- Sri Venkatsehwara Hotel pour un bon curry aux noix de cajou,
- Chillout Bamboo pour un curry d’aubergines ou un thali.
Récapitulatif de notre circuit d’exploration des ruines
Une grande partie du site peut se découvrir en marchant, mais un ou deux coups de rickshaw ne sont pas de trop sous le soleil de plomb d’Hampi. Si vous souhaitez suivre nos traces depuis le village d’Hampi, voici un résumé :
- prendre un rickshaw jusqu’au Lotus Mahal (négocié à 150 roupies),
- visiter les Elephant Stables juste à côté
- puis le Bain de la Reine, toujours à pied
- nouveau rickshaw jusqu’au temple Vittala (négocié à 200 roupies)
- il ne dépose pas au temple mais à un 1km, prendre la navette ou marcher
- au lieu de revenir sur ses pas, suivre le chemin qui part à gauche du temple
- traverser les ruines sans nom et rejoindre progressivement la rivière
- sur le retour vers Hampi, repérer la colline la plus haute, Matanga Hill
- la contourner par la droite pour trouver le chemin qui monte
- attendre tranquillement le coucher de soleil sur le toit du temple.
Toutes les ruines ne sont pas gratuites : un billet combiné inclut les Elephant Stables, le temple Vittala et le musée archéologique (que nous n’avons pas visité). Il coûte 600 roupies et n’est valable que pour une journée.
De l’autre côté de la rivière
La barque qui traverse la rivière se prend à gauche des ghats et le tarif est de 50 roupies. Attention, pour le retour, elle s’arrête avant la nuit, vérifiez l’horaire avec le batelier. L’autre rive nous a semblé moins adaptée à la marche. Trouver un loueur de scooter est très simple dès la sortie, c’est même plutôt eux qui vous trouveront. En négociant, nous avons obtenu le prix de 200 roupies pour 3h, essence non comprise. Les scooters ne sont pas immatriculés pour la location, mais la police ne traverse jamais la rivière.